Jean-Pierre Meylan
Romain Rolland, initiateur et victime de réseaux politico-idéologiques
Romain Rolland fut un grand épistolier cosmopolite déjà avant 1914, mais, avec son article Au-dessus de la mêlée de septembre 1914, il passe pour l’intellectuel-phare du pacifisme européen. Avec l’attribution du prix Nobel (1916), il en devint, au déplaisir de la France officielle, pratiquement une institution inattaquable. Sa situation en Suisse neutre en fit un personnage médiateur, une plaque tournante bien informée des intellectuels. Au réseau déjà existant se joignit une nébuleuse de jeunes expatriés étrangers fuyant la guerre (déserteurs, objecteurs de conscience, anarchistes, etc.) qui virent en lui une espèce de gourou, comme auparavant en Lev Tolstoj. Cette nébuleuse (autour de la revue Europe, 1923) marqua l’histoire intellectuelle de l’entre-deux-guerres. Durant cette période, il se consacra à la lutte contre les fascismes italien et puis allemand. Bien qu’il sût se méfier des bolcheviks en 1918, son engagement de ‘compagnon de route’ du communisme le rendit aveugle à la montée du stalinisme, une influence dont il se rendit dépendant grâce à sa jeune seconde épouse, Marija Kudaševa, d’origine soviétique qui le tint quasiment en otage. La Seconde Guerre mondiale fut pour lui une double catastrophe : ayant confié son espoir en l’URSS comme antagoniste des fascismes, il fut trahi par le pacte germano-soviétique de 1939 qui renversa les alliances et fit de la Wehrmacht en France une force protectrice des communistes français – une alliance contre nature de brève durée. L’effondrement de la France, finalement, il le vécut à Vézelay où il s’était réfugié – un refuge où l’occupation le surprit, et qui finit par l’isoler. Rolland s’étant retiré de la vie publique y hiberna en tenant un profil bas, ce qui le servit lors de la libération lorsqu’il fut redécouvert par le PCF (Parti Communiste Français) et levé sur leur bouclier comme résistant. De pacifiste Rolland est passé, malgré lui, apprenti sorcier du communisme.